jeudi 3 septembre 2015

La Licence sociétale



PROJETS D’INSTALLATION CLASSEES ET MISE EN PLACE D’UNE
« LICENCE SOCIETALE D’EXPLOITER »



            SOMMAIRE
           
  1. La licence sociétale d’exploiter : d’une démarche administrative à un parcours collaboratif

1.1. Trois paramètres incontournables : temps, territoire, gouvernance
1.2. Création d’un « comité collaboratif » : outil de conception, de concertation et de mémoire projet


  1. La licence sociétale d’exploiter : d’une étude d’impacts à une étude d’empreinte territoriale

2.1. Etude d’impact environnementale et sanitaire
2.2. Etude d’impact socio-économique
2.3. Etude de faisabilité sociétale


3.     Nouveaux critères d’évaluation d’un projet

  1. Les grands principes d’une licence sociétale d’exploiter

4.1   Principe de territorialité
4.2   Principe de temporalité
4.3   Principe de rigueur financière
4.4   Principe de prudence scientifique
4.5   Principe d’expertise partagée
4.6   Principe de gouvernance
4.7   Principe de mémoire et d’empathie collective








Préambule

Les procédures actuelles d’élaboration, de prise de décision, de mise en œuvre et de contrôle des projets ayant une portée sociétale ne répondent plus à la situation des territoires et des populations qui y vivent ou en vivent. Le dualisme fondamental caractérise ces procédures en mettant face à face les riverains et les pouvoirs publics en mesure de prendre des arrêtés dautorisation. Les positions se radicalisent de part et dautre jusqu’à conduire à un rapport de force entre militants extrémistes, ayant des « Zones dActivités à Défendre », et pouvoirs de police. Cette situation ne se limite pas quaux projets daménagement du territoire comme laéroport de Notre-Dame-des-Landes ou le barrage de Sivens, mais tend à se généraliser à tout projet ayant un impact environnemental jugé inacceptable par une poignée de riverains, de militants ou dONG.

France Nature Environnement a publié une carte de France interactive recensant 104 projets jugés inacceptables. Parmi eux, des golfs, des décharges, de grands projets industriels, mais également près d’une trentaine de routes ou d’autoroutes, des liaisons ferroviaires ou des centres commerciaux. Des projets jugés inutiles pour les uns, déclarés d’utilité publique pour les autres, opposent systématiquement l’environnement à l’emploi et l’attractivité du territoire. Tous ne font pas l’objet d’une « zone à défendre », mais la pression monte localement jusqu’à s’enflammer au niveau national, voire européen.

L’émergence de concepts de « démocratie participative », « d’écologie citoyenne » et la possibilité, pour les élus locaux, d’avoir recours à des référendums pour « débloquer ou mettre un terme à certaines situations » montre l’inefficacité des procédures existantes et l’obsolescence des réglementations liées aux démarches d’autorisation d’exploiter des installations classées pour la protection de l’environnement. Dans les faits, cette situation recouvre différentes réalités qui conduisent à des prises de position complexes :
  • l'écologie est la science des écosystèmes et, à ce titre, s'appuie sur des lois et concepts généraux modulables au cas par cas. Dans les faits stabilité et diversité se conjuguent différemment d’un écosystème à un autre, et nécessitent une souplesse et une modularité difficilement compatibles avec un système normatif rigide.

  • dans une période d’instabilité économique, la priorité d’un projet se mesure, pour beaucoup, à l’activité économique qu’il suscite. Dès lors, le maintien du patrimoine écologique devient une contrainte « de nantis » et l’arbitrage se résume souvent à un chantage économique de la part de certains élus  et porteurs de projet.

  • la qualité des dossiers soumis à enquête publique relève plus d’une formalité administrative que d’une véritable démarche d’étude, de dialogue et de prise de position territoriale. Elle dédouane l’administration, accorde une grande légitimité aux bureaux d’études et fait porter la responsabilité aux entreprises privés, souvent plus habituées au lobbying qu’aux démarches de responsabilité sociétale.

  • la conjonction des mouvances écologiques et d'une recherche de sens d’une partie de la jeunesse a concrétisé un mouvement radical de défense des territoires : le « Zadisme ». Ce mouvement, qui s’obstine à s’opposer à toute forme de transformation territoriale, y compris positive, tend à s’élargir et ramène toute action publique à une confrontation entre force de l’ordre et manifestants, d’où le porteur de projet public ou privé sortira toujours perdant.






  1. La Licence sociétale d’exploiter : d’une démarche administrative à un parcours collaboratif

Aujourd’hui, un projet de territoire ne peut plus se limiter à une simple formalité administrative intégrant une étude dimpact, de dangers et une enquête publique avec registres à remplir en mairies. Un projet est le fruit dun parcours collaboratif intégrant des paramètres technico-économiques, des critères de faisabilité et des réalités sociétales. Ce parcours implique une nouvelle vision du territoire, passant dun « réceptacle administratif » à un « territoire projet », véritable écosystème en interaction avec son milieu.

Un parcours collaboratif ressemble à « un parcours initiatique » qui doit intégrer des paramètres incontournables, définir ses propres critères de sélection et sinscrire dans des principes de fonctionnement intangibles.

1.1   Paramètres immuables

1)     Le temps
Un projet d’infrastructure territorial dans le domaine de l’énergie, des transports ou de la gestion de  déchets met en moyenne 10 ans à aboutir, entre les démarches d’autorisation administrative et la pose de la première pierre. Les recours juridiques se systématisent et deviennent un facteur discriminant pour certains maîtres d’ouvrage dans leur choix de réponse à des appels d’offre publics. La gestion de la ressource temps devient un facteur clé de réussite pour tout projet en interaction avec son territoire.

2)     Le territoire
Trois visions territoriales conditionnent la gestion de projet :
        « le territoire réceptacle » dans lequel le projet est géré dans une logique industrielle à sens unique, sans considérer ses interactions ;
        « le territoire institué » vu comme un passage obligé pour des projets d’infrastructure ferroviaire ou routière ;
      « le territoire projet », une approche innovante avec des frontières géographiques mouvantes et des interactions entre acteurs, flux et territoires, qui impliquent la création de valeur et l’apport d’une  solution globale.

3)     La gouvernance
Le savoir n’est plus l’exclusivité du sachant et le pouvoir l’exclusivité du sommet de la pyramide. Une nouvelle forme de « démocratie horizontale », hétérogène et poreuse, fait surface dans le cadre d’un projet et attire une vision extrémiste du territoire sous la forme de « zone d’activité à défendre ». Dès lors, tout projet peut être soumis à des jugements de valeurs arbitraires, eux-mêmes confortés par la possibilité de moratoires locaux. L’enjeu de la gestion de projets réside donc moins dans le savoir académique que dans la confrontation d’idées et la preuve de l’impartialité d’une décision concertée au nom de l’intérêt collectif.

Ainsi par exemple, le projet de loi sur la transition énergétique donne aux citoyens, aux entreprises, aux territoires et à l’Etat le « pouvoir d’agir ensemble » avec des outils de programmation, de recherche et de formation dédiés, tout comme la mise en place d’un « comité d’experts pour la transition énergétique » consulté dans le cadre de l’élaboration du budget et de la stratégie « bas carbone ».





1.2   Création d’un « comité collaboratif », un outil de conception, de concertation et de mémoire collective

L’autonomie de pensée, d’action et de communication au XXIème siècle a donné un nouveau statut et pouvoir à  l’individu en tant qu’acteur militant. Les structures traditionnelles d’information et de prise de décision pour de grands projets sont devenues obsolètes. Dès lors, il devient indispensable de créer une nouvelle gouvernance territoriale sous la forme d’une « structure collaborative » permettant d’intégrer un projet dans son Territoire et de veiller à l’intérêt public. Cette structure devra prendre part à l’élaboration du projet en amont, dès sa phase de discussion avec les autorités préfectorales (DREAL notamment). Potentiellement nommé par le Tribunal Administratif et financé par le Maître d’ouvrage, le « comité collaboratif » devra respecter des droits et devoirs transcrits dans une charte de bonne conduite lors du démarrage du processus.

            Droits du comité collaboratif :
·       Avoir accès aux études de faisabilité et participer au choix des bureaux d’études compétents
·       Participer aux discussions avec la DREAL sur la recevabilité du dossier et les hypothèses à vérifier
·       Etre en mesure d’évaluer les meilleures pratiques environnementales disponibles
·       Etre en mesure d’évaluer l’impact socio-économique sur les activités existantes
·       Etre en mesure d’interroger l’opinion publique locale sur l’intérêt et les critères de faisabilité du projet

Les devoirs du comité collaboratif :
·       Etre représentatif de la citoyenneté territoriale
·       Respecter les clauses de confidentialité définies avec le porteur de projet et les autorités publiques
·       Etre impliqué et moteur tout au long du processus 
·       Veiller au respect des décisions entérinées conformément aux règles démocratiques établies
·       Veiller à la mémoire collective du projet
·       Veiller à la rigueur financière du projet





  1. La licence sociétale : d’une étude d’impacts à une étude d’empreinte territoriale

Toute demande dautorisation dexploiter une installation à risque potentiel pour lenvironnement doit faire lobjet, depuis la loi de 1976 sur les installations classées, dune étude dimpact environnementale et de dangers. Ces études, initialement limitées aux impacts écologiques (eaux, air, bruit, déchets) ont été élargies, depuis 2000, aux risques sanitaires - et certains dossiers énergétiques doivent désormais également intégrer une étude dimpact socio-économique sur les activités existantes.

2.1   Etude d’impact environnementale et sanitaire

Les études d’impact environnementales (EIE) étudient les impacts écologiques d’un projet, de sa conception à sa réalisation jusquau démantèlement programmé des installations. Elles devraient théoriquement évaluer les avantages et inconvénients dune solution retenue et proposer des alternatives. Or, dans les faits, ces études sont réalisées sur demande dun maître douvrage, sur la base dun projet prédéfini, sans intégrer obligatoirement ses impacts indirects et cumulatifs au niveau dun territoire.

Axes damélioration des EIE :
        intégrer les études dimpacts dans une approche territoriale globale en évitant leur morcellement en dossiers administratifs
        disposer dune expertise suffisante pour évaluer les impacts cumulatifs sur les écosytèmes
        distinguer, chiffrer et planifier les mesures de prévention, réduction, compensation et accompagnement. Privilégier les mesures de prévention, réduction des impacts à court terme plutôt que des mesures compensatoires dérisoires sur le long terme
        utiliser le cahier des charges des EIE comme un outil de dialogue avec les parties prenantes en amont des dossiers
        veiller à laccès aux informations brutes avant modélisation
        mettre en place des observatoires de suivi et d’évaluation des mesures prévues

Dans le cadre dinstallations classées pour la protection de lenvironnement, toute étude dimpact environnementale doit désormais intégrer une étude d’évaluation du risque sanitaire (ERS) pour les populations exposées. Cette évaluation se base souvent sur des hypothèses probabilistes complexes, difficilement vérifiables par un tiers.

Axes damélioration des ERS :

        faire preuve de prudence scientifique en cas dabsence de données reconnues et intégrer des hypothèses majorantes
        veiller à la cohérence entre le degré dapprofondissement de l’étude et les incidences prévisibles de la pollution. Cette approche nest pas définitive, se fait sur la durée et par paliers successifs
        veiller à la pertinence de l’étude par rapport aux caractéristiques du site et de son environnement
        expliquer les choix et la logique du raisonnement afin quils soient compréhensibles par les parties prenantes intéressées.

2.2   Etude de dangers

L’étude de dangers doit travailler sur des scénarios plausibles intégrant des hypothèses majorantes. Elle doit faire preuve de réalisme et de pédagogie dans la clarté de ces scénarios, qui peuvent également être des outils de dialogue avec des parties prenantes intéressées.





2.3   Etude d’impact socio-économique

L’étude d’impact socio-économique d’un projet sur un territoire n’est pas intégrée, à ce jour, à la procédure  d’autorisation pour les installations classées. Elle peut être imposée dans le cadre d’appels d’offres publics, comme ce fut le cas pour les éoliennes en mer. Or, toute activité nouvelle remet en cause les interactions entre activités existantes sur un territoire donné. Aux traditionnelles études d’impacts et de dangers devront donc s’ajouter des études d’impact socio-économiques sur les activités et équipements existants pour évaluer la pertinence globale d’un projet sur un territoire donné.


2.4   Etude de faisabilité sociétale

Le comité collaboratif devra veiller à identifier les critères de faisabilité sociétale d’un projet et son intégration dans l’environnement. Ces critères souvent considérés comme subjectifs (esthétique, architecture, respect des us et coutumes locales par exemple) devront être représentatifs localement et faire part des discussions-négociations socio-économiques liées au projet. Ils devront être codifiés et soumis à approbation auprès du maître d’œuvre et des autorités en charge d’autoriser le projet.

L’étude de faisabilité sociétale fera partie intégrante du dossier de demande d’autorisation d’exploiter au même titre que l’étude d’impact et de danger et fera l’objet de critère d’évaluations spécifiques.


3.     Nouveaux critères d’évaluation d’un projet

Les bureaux d’études établissent les critères d’évaluation des offres en fonction de cahiers des charges principalement technico-économiques. Leurs critères d’appréciation d’une offre sont avant tout financiers (à hauteur de 70%) et techniques (à hauteur de 30%). Les considérations d’ordre sociale (formation, emploi) ou sociétale (architecture, foncier, intégration territoriale) sont plus aléatoires.

Or devant les changements de paradigmes sociétaux, tout projet territorial devrait désormais intégrer des critères de faisabilité socio-économiques et sociétaux, au même titre que l’évaluation de l’impact environnemental. Ainsi, à titre d’exemple les critères d’évaluation pourraient être répartis comme suit sur 100 points :

·       Etude d’impact environnementale et sanitaire : 25 points
·       Etude de dangers : 25 points
·       Etude d’impact socio-économique : 25 points
·       Etude de faisabilité sociétale : 25 points






4.      Les 7 grands principes d’une licence sociétale d’exploiter

4.1   Principe de territorialité
Privilégier le territoire physique et culturel d’un projet, en fonction des ressources locales fondamentales disponibles :
·       la biodiversité
·       le cycle de l’eau
·       l’énergie, en privilégiant les « boucles locales courtes »
·       le patrimoine bâti, forestier, agroécologique
·       l’histoire locale avec ses us et coutumes
·       les savoirs locaux et modes de transmission de l’information

4.2   Principe de temporalité
Dans un contexte d’accès à l’information en temps quasi réel, il faut veiller à réduire la procédure d’instruction des dossiers à une durée maximale de 2,5 ans avec des jalons d’études technico-économiques, de concertation et d’information clairement identifiés :
·       l’information publique sur un projet d’aménagement territorial d’envergure devrait se faire dès la rédaction de l’étude d’impact, qui deviendrait, dès lors, un outil d’analyse des meilleures pratiques environnementales disponibles
·       cette analyse devrait être mise à disposition du « comité collaboratif » afin d’évaluer la pertinence d’un projet en fonction du principe de territorialité
·       une juridiction administrative devrait être mise en place dès le démarrage du projet afin d’évaluer la pertinence des recours potentiels pour éviter l’enlisement juridique
·       au-delà de 2,5 ans, il faudrait considérer la procédure d’autorisation comme caduque, tant sur le contenu des études, que sur la mémoire collective du projet

4.3   Principe de rigueur financière
Beaucoup de projets d’infrastructure territoriaux sont gérés à coups d’avenants systématiques qui remettent en cause les prises de décisions initiales et prolongent d’autant les procédures d’instruction administratives. Une rigueur financière accessible et contrôlée par le Comité Collaboratif devient une nécessité pour éviter toute tentative de corruption et de conflits d’intérêts tout au long du projet. Cette rigueur permettra également  de veiller au respect du calendrier.

4.4   Principe de prudence scientifique
Le principe de prudence scientifique doit s’appliquer sur l’étude d’impact environnementale et sanitaire en intégrant des éléments de proportionnalité, de spécificité et d’évolution pour chaque projet, ce qui implique :
·       un degré d’approfondissement de l’étude d’impact environnementale et sanitaire en fonction des incidences prévisibles de la pollution d’un Territoire
·       une démarche évolutive dans l’évaluation des risques sanitaires
·       l’intégration du projet dans un observatoire environnemental et sanitaire en mesure de suivre son évolution




4.5   Principe d’expertise partagée
La question de l’expertise reste un enjeu central dans le suivi de grands projets industriels. Après divers scandales environnementaux et sanitaires, la parole des experts a tendance à être remise en cause, non pas sur le fond, mais sur son indépendance par rapport au maître d’ouvrage. Pour rétablir la confiance entre experts et société civile, il faudrait :
·       réconcilier le savoir académique et le savoir d’expérience d’un Territoire en identifiant les meilleures pratiques locales, notamment en matière d’agriculture ou de bilan énergétique par exemple
·       identifier les « sachant territoriaux » afin de les impliquer dans les études d’impact environnementales, sanitaires et socio-économiques

4.6   Principe de gouvernance
Aucun projet ne devrait être lancé sans définition préalable d’un mode de gouvernance intégrant un comité collaboratif qui veille à la conduite du projet en fonction de l’intérêt collectif territorial.
Chaque organisation devrait veiller à rédiger des procédures de contrôle engageant la responsabilité des différents acteurs :
·       responsabilité managériale
·       responsabilité politique territoriale garantie par le Tribunal Administratif
·       responsabilité scientifique
·       responsabilité citoyenne
·       responsabilité d’Etat sur des grands projets garantie par le Conseil d’Etat

4.7   Principe de mémoire et d’empathie collective
Toute opposition à un projet devrait pouvoir s’exprimer dans un climat de confiance, de débat d’idées et de respect mutuel. Le Zadisme met en évidence les failles d’une « démocratie administrative » où les oppositions s’expriment par recours juridiques plus que par injonctions d’idées neuves. Une attitude empathique collective devrait être le fondement d’un dialogue projet sur la durée.

Dans une société où la mémoire collective est sélective en fonction d’intérêts individuels, le comité collaboratif devrait être le garant de la mémoire du projet. Cette mémoire devrait intégrer :
·       les éléments factuels liés à l’évolution du projet
·       le contexte historique
·       les contentieux juridiques
·       les éléments de polémique, y compris médiatiques

Les indicateurs technico-économiques, les procédures de contrôle, tout comme le bilan financier devraient être centralisés par le Comité Collaboratif et accessibles sur demande au public.




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